Lettre du comité de parents au premier ministre du Québec

Cette lettre a été transmise au Premier Ministre M. François Legault. Le ministre de l’Éducation M. Jean-François Roberge, la ministre déléguée à l’éducation Mme Isabelle Charest et le député de la circonscription de Sainte-Rose M. Christopher Skeete ont été placés en copie de l’envoi.

9 mois pour 48 minutes : une saison impossible

Lundi 13 janvier 2020 16h45. Il fait noir à l’extérieur. Les cours viennent de se terminer. Les entraînements en salle de musculation débutent en prévision de la prochaine saison qui aura seulement lieu à la rentrée année  dans 9 mois. La soixantaine de joueurs qui formeront l’équipe de catégorie Juvénile s’entraînent  4 fois par semaine sous la supervision d’une équipe d’entraîneurs essentiellement bénévoles. Ce sont des enseignants, des kinésiologues, des infirmiers, des gestionnaires de jour et des bénévoles dédiés le soir et la fin de semaine. Des bénévoles qui investissent chaque semaine entre 20 et 40 heures de janvier jusqu’à la fin novembre pour supporter un projet pivot dans la vie de nombreux jeunes, celui des Loups, un des programmes de football scolaire public les plus importants et les plus reconnus de la province.

Mi-mars 2020, c’est le retour des élèves après la relâche scolaire. Les entraînements spécifiques au football débutent en gymnase, en plus des entraînements en salle de musculation. L’arrivée de la COVID-19 prend tout le monde par surprise. L’école est suspendue pour quelques semaines. Les pratiques de football, évidemment, le sont aussi. Le climat d’incertitude fait en sorte que les jeunes comprennent bien l’importance des mesures de distanciation sociale. Ils se réjouissent d’ailleurs un peu du congé forcé. On comprend que la progression habituelle en matière de football sera chamboulée, mais  tout le monde comprends, nous sommes tous dans le même bateau.

Le retour à l’école est repoussé pour une première fois. Mars se termine. Puis avril passe, toujours dans l’incertitude.

En temps normal, les élèves-athlètes commenceraient à pratiquer  plusieurs fois par semaine à l’extérieur dans le cadre du camp de printemps. Ces entraînements sont remplacés par des rencontres vidéo avec les entraîneurs. Le climat d’incertitude sur l’avenir du camp de printemps, mais aussi sur la fin de l’année scolaire, perdure.

Mai arrive. Les joueurs ont habituellement 3 semaines intensives d’entraînement quotidiens et des parties la fin de semaine. Le gouvernement annule la fin d’année scolaire. Le football subira évidemment le même sort. On se croise les doigts pour la saison prévue au mois d’août.

Les mois de juin et de juillet servent à la préparation physique des joueurs en prévision de la saison de football. Cette période est charnière pour renforcir le corps et prévenir les blessures. Considérant que les entraînements ont été annulés une bonne partie de l’hiver, cette période d’une importance cruciale cette année. Dès que le gouvernement a donné son accord pour la tenue d’entraînements, l’organisation des Loups a déployés tous les moyens pour tenir les entraînements en respectant les directives de la santé publique.

C’est le mois d’août, la pandémie s’est calmée au Québec. Football Québec, la fédération qui gère la pratique du football à travers la province, prépare le déconfinement en prévision de la tenue de matchs. Un protocole est mis en place pour assurer la pratique sécuritaire du sport. Les accords nécessaires sont obtenus, le football est relancé ! Les ligues civiles débutent leurs activités. Les ligues scolaires débutent, comme à l’habitude, un peu plus tard, pour s’arrimer avec la rentrée scolaire.

À notre plus grande réjouissance, les ligues civiles débutent leurs matchs et ne semblent pas être des vecteurs de transmission de la COVID-19. La formule mise en place par Football Québec est encourageante pour les équipes scolaires qui débutent leurs entraînements.

Rappelons que le football scolaire est régit par deux entités : Football Québec, qui gère également les ligues civiles, et par le Réseau du sport étudiant (RSEQ) qui gère aussi les ligues collégiales et universitaires.

Football Québec est déjà bien en selle avec le football civil qui tient des rencontres régulières depuis plus d’un mois. Pour le RSEQ, la situation est moins claire. Il n’est pas certain que les ligues universitaires, collégiales et scolaires puissent tenir des saisons. Comme il s’agit d’un réseau, ce sont les équipes qui décident. Les équipes acceptent, à la recommandation du RSEQ, d’attendre les constats d’un comité d’experts sur la pratique du football en temps de pandémie. Ainsi, le début du calendrier régulier, normalement prévu à la fin août, est repoussé d’une semaine.

Les équipes pratiquent tout de même tous les jours depuis 3 semaines. Le taux de présence aux pratiques en juin, juillet et août n’a jamais été aussi élevé. Les joueurs s’accrochent à l’espoir de jouer pendant la saison. Ils n’ont pas beaucoup d’occasion de socialiser depuis mars.

Puis, le 27 août, un premier « blindside » du ministre de l’Éducation, M. Jean-François Roberge. Ce dernier ordonne qu’aucune activité parascolaire ne soit tenue avant le 1er octobre, le temps de bien faire la rentrée scolaire et de tester son concept de bulles-classes. Questionné, il insiste pour mentionner que des activités peuvent être tenues dans le cadre des bulles-classes. À l’école Curé-Antoine-Labelle, les joueurs de l’équipe de football Juvénile se retrouvent dans plus d’une quinzaine de bulles-classes. Peut-on continuer les activités ? Quels joueurs privilégier et quels joueurs laisser de côté pour la tenue des activités ? Choisi-t-on le plus grands nombre de joueur ? Les meilleurs joueurs ? Ceux avec le plus difficultés scolaires ? Ceux qui ont le plus besoin de s’accrocher à l’école ? Ces questions n’ont pas été répondues dans les documents « Questions-Réponses » du ministère.

La décision du ministre amène son lot de déception chez les joueurs, les entraîneurs, mais aussi chez les parents qui voyaient leurs jeunes s’accrocher à un semblant de normalité après des mois d’incertitude et une rentrée scolaire qui s’annonçait des plus particulières avec les bulles-classes, les masques, la distanciation, etc. La décision du ministre est d’autant plus difficile à accepter puisqu’elle est incohérente.

Les équipes civiles de football, de soccer et de baseball tiennent des rencontres interrégionales depuis plus d’un mois, avec l’aval des fédérations sportives qui relèvent de la ministre déléguée à l’éducation, Mme Isabelle Charest.

D’ailleurs, les équipes de football scolaire tiennent des entraînements quotidiens depuis des semaines, et ce, sans pépins. La nouvelle décision du ministre Roberge de suspendre les activités parascolaires ne paraît donc pas appuyée sur l’expérience actuelle.

À quelques heures d’avis, les entraînements sont à nouveau annulés, cette fois pour deux semaines. Les premières parties sont aussi annulées. La grogne s’installe. Les médias s’activent et souligne l’incohérence de la décision du ministre. Une manifestation est organisée à Québec. Le premier ministre, M. François Legault, fait une sortie pour revoir la date du 1er octobre au 14 septembre, « si la rentrée se passe bien », dit-il. L’incohérence demeure, la date est simplement rapprochée. Les partis d’opposition et les médias soulèvent la situation à de nombreuses reprises, mais se butent aux lignes de communication évasives récitées par des ministres envoyés à l’abattoir pour justifier l’injustifiable.

Notons que, pendant cette période, les ligues civiles ont continué leurs saisons respectives et ont même bénéficié des installations scolaires comme les gymnases et les terrains de soccer/football, conformément aux ententes prévues entre les écoles et les villes. Il est important de rappeler que, dans une même équipe civile de football, les jeunes fréquentent une multitude d’écoles différentes et que le principe des bulles n’est pas requis.

L’incohérence est flagrante et la piètre qualité des réponses reçues fait naître un sentiment d’injustice. Nous ne sommes plus « tout le monde ensemble » dans les mesures de santé publique.

14 septembre : Le grand jour. La rentrée s’est bien passée. Le gouvernement permet la relance des activités. Le sport dans les écoles doit se faire dans le cadre de groupes-bulles. L’équipe de football devient donc une bulle. Si un cas de COVID-19 y était détecté, les activités devraient cesser. Avec raison.

Les entraîneurs s’activent pour relancer les activités, mais, considérant la nature du football, après un si long arrêt, deux semaines complètes d’entraînements sont nécessaires pour reprendre le collier avant de disputer une première partie. Les activités reprennent pour les équipes et l’espoir y est. Les premières parties sont prévues dès le 25 septembre, soit un mois plus tard que le calendrier original. Rappelons que la saison de football dure 2 mois et demi et doit prendre fin en novembre, en raison du temps froid.

Mais voilà que le ministre Roberge y va de son deuxième « blindside » : le règlement 70. Enfoui dans un document « Questions-Réponses » transmis aux directions d’école, il est maintenant indiqué qu’une école ayant un cas de COVID-19 ne pourra participer à une activité impliquant une autre école.

Dans une école de près de 2500 élèves comme Curé-Antoine-Labelle, n’avoir aucun cas de COVID-19 actif relève du miracle.

Du 14 au 26 septembre, les joueurs de l’équipe de football ont eu espoir. Espoir qu’aucun cas positif de COVID-19 ne soit déclaré à l’école, qu’aucun cas ne soit dans l’autre école et qu’ils puissent jouer une partie. Une seule partie. 48 minutes de jeu.

10 parties sont prévues dans la ligue pour la fin semaine du 26 septembre. 7 sont annulées à cause qu’au moins un cas de COVID-19 est déclaré dans l’école. À Curé-Antoine-Labelle, le miracle tant attendu se concrétise. Aucun cas n’est déclaré, ni chez l’opposant. La partie se confirme.

Jeudi le 24 septembre, devant la grogne des écoles qui ont dû annuler leurs parties, il est même annoncé que le règlement 70 serait modifié pour que ce soit plutôt au niveau du groupe-bulle et non de l’école. L’espoir d’une saison à peu près normale renaît. Les médias relayent même la bonne nouvelle.

Le nouveau document « Questions-Réponses » du ministère n’est cependant pas transmis dans les délais pour permettre de jouer les parties déjà annulées. Seules trois parties auront lieu cette fin de semaine. Les Loups sont parmi les miraculés, ils joueront le samedi 26 septembre.

C’est à ce moment que le ministre Roberge y est allé de son troisième « blindside » : le règlement 77. Ce règlement édicte que les déplacements inter-régionaux sont interdits dans les régions « oranges » et « rouges », ce qui représente une directive plus restrictive que celle émise par la santé publique.  Au moment d’émettre cette directive, le Grand Montréal et la région de Québec sont « orange ». Il faut noter que ce nouveau document « Questions-Réponses » a été transmis par le ministère le vendredi 25 septembre, après les heures ouvrables. Un timing judicieux pour éviter les questions. Après une victoire du Canadiens de Montréal aurait également été un excellent timing, mais ils sont éliminés.

La partie que les Loups préparaient depuis la reprise du 14 septembre, en respect des directives de la santé publique et du ministère de l’éducation, n’a d’autre choix que d’être annulée, et ce, même s’il n’y avait aucun cas de COVID-19 dans les deux écoles impliquées. Ce nouveau règlement empêche d’ailleurs la tenue de la plupart des parties de football scolaire.

Samedi 26 septembre, 8h30, toute l’équipe des Loups est réunie, en train de terminer les derniers préparatifs avant de prendre l’autobus pour aller disputer sa première partie. C’est alors que l’entraineur-chef reçoit l’appel de l’autre entraîneur chef qu’il s’apprête à affronter ; il vient d’être avisé que la partie ne pourra pas avoir lieu. L’annonce est brutale pour les joueurs, les entraîneurs, les parents. Ces derniers dénotent l’incohérence avec le réseau civil et l’injustice que leurs enfants vivent. Plusieurs jeunes sont en larmes.

Les Loups, c’est une organisation qui rassemble plus de 65 entraîneurs et bénévoles qui ont un seul objectif, soutenir les quelques 150 élèves-athlètes, les motiver, les accrocher. C’est un rôle crucial, tout spécialement cette année, mais il faut pouvoir s’accrocher à quelque chose. Depuis plus d’un mois, nous repoussons sans cesse le principal outil d’accrochage scolaire et de motivation chez nos jeunes. La COVID-19 n’a malheureusement pas mis en confinement le décrochage scolaire chez les jeunes garçons. Bientôt, sans parties possibles, l’organisation ne pourra plus retenir nos jeunes aux entraînements. Ils iront au parc. Ils iront dans des partys ou d’autres rassemblements. Le système les a abandonnés depuis mars. Pourquoi feraient-ils leur part en restant à la maison? La socialisation est l’essentiel de leur monde à cet âge. Le football et les autres activités parascolaires doivent reprendre, sans nouveaux bâtons dans les roues, mais c’est de plus en plus difficile d’y croire.

À chaque nouvelle étape vers un retour, une nouvelle décision nous a frappés dans notre angle mort. Les « blindsides » doivent arrêter. À l’habitude, après autant de conduite antisportive, on se fait sortir de la partie.

En clôture, nous tenons à rappeler que nous adhérons aux mesures dictées par la santé publique. Toutefois, devant le traitement différent offert aux ligues scolaires et civiles, il est de plus en plus difficile d’y trouver du sens. L’incohérence des décisions prises par votre gouvernement engendre un climat d’incertitude et un sentiment d’injustice chez nos jeunes, chez nos entraîneurs et chez nous, les parents. Nous prenons donc le temps de vous écrire aujourd’hui, pour éviter que ce genre de situation se produise à nouveau.

Gilles Paul, Comité de parents des Loups